19 juin 2019

FRANÇAIS DU MONDE – ADFE – TUNISIE a organisé le 19 février 2019 une conférence-débat sur ce sujet avec Maître Abdelfatah BENAHJI, avocat, président de notre association. Cet article en est le compte-rendu, auquel nous avons intégré, après les avoir actualisées, les informations recueillies en avril 1999 lors de notre conférence-débat avec Madame Kalthoum MEZIOU, Professeur et Doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et Maître Mohamed El Habib BEN ABDESSELEM. Merci à eux tous pour avoir mis gracieusement à notre disposition leurs compétences, merci aux nombreuses personnes du public qui ont activement participé à enrichir le débat par leurs questions et leurs remarques.

Quelles règles s’appliquent pour le partage des biens d’un(e) défunt(e) ayant vécu dans plusieurs pays, selon sa/ses nationalité/s, son dernier lieu de résidence et le lieu où se situent les biens ? Qui a le droit d’hériter et quelles lois régissent la succession ? Qu’en est-il de la loi française et de la loi tunisienne à ce sujet ? Quel Etat perçoit les droits ?

Les législations concernant les successions, dans un seul pays ou internationales, sont extrêmement complexes. Par souci de compréhension par le non-spécialiste, nous présentons ici seulement des principes et informations simples, applicables dans de nombreux cas. L’aide d’un spécialiste, notaire ou avocat, est bien entendu nécessaire pour régler toute succession.

Textes récents, leur incidence sur les résidents français en Tunisie

  • Un règlement européen en vigueur depuis le 17 août 2015, permet de choisir dans les pays de l’Union européenne quelle législation nationale on souhaite voir appliquer pour régler à l’avance sa succession. Il uniformise les règles en créant un certificat successoral européen unique. Article 22: Le citoyen européen a le libre choix de la loi qui régira sa succession pour tous ses biens (par exemple la loi d’un des pays dont il a la nationalité, même s’il vit dans un autre). Il doit établir cet acte formel devant un notaire. Mais certains Etats tiers, dont la Tunisie, n’acceptent pas ce règlement et appliquent leurs lois internes, de conflit de loi et de fond, régissant les successions.
  • En Tunisie abrogation en septembre 2017 de la circulaire de 1973 qui interdisait le mariage d’une Tunisienne et d’un non-musulman. Rappelons que notre association a fait partie du collectif d’associations qui a milité pendant des années pour l’abrogation de cette circulaire.
  • Il en découle, en jurisprudence tunisienne, qu’en vertu d’une décision de justice en 2008 et d’un arrêt de la Cour de Cassation (8ème chambre) en 2011, est définitivement consacré le droit pour un(e) non-musulman(e) d’hériter d’un(e) musulman(e).

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Biens immobiliers et propriétés agricoles : loi applicable

Les législations tunisienne, française et européenne stipulent que la succession sur les biens immobiliers et les propriétés agricoles est régie par la loi du pays où ils sont situés.

En Tunisie un bien agricole, ou une part de société agricole, ne peut pas être acheté par un étranger (loi de 1964), mais il peut être transmis par héritage à un étranger.

Dans tous les cas, les règles de dévolution successorale pour ces biens sont celles du CSP – Code du statut personnel tunisien pour ceux qui sont situés en Tunisie, et celles du Code civil français pour ceux qui sont situés en France.

Lorsqu’il faut enregistrer les nouveaux propriétaires d’un bien immobilier en Tunisie, le service de la conservation foncière applique le partage inégalitaire, sauf en cas de testament contraire. Voir le § CSP – Code du statut personnel tunisien.

L’héritier d’un immeuble en Tunisie, même s’il ne possède pas la nationalité tunisienne, n’aura pas besoin d’obtenir du gouvernorat l’autorisation du Gouverneur pour entrer en possession de son titre de propriété. (Par contre un(e) non-tunisien(ne) qui fait une donation en Tunisie, ou qui bénéficie d’une donation, doit obtenir cette autorisation, voir le § Donations).

Si on vend en Tunisie un bien hérité, qui avait été acheté après 1956, peut-on faire sortir de Tunisie le produit de la vente ? Oui, avec l’autorisation de la Banque centrale, si on peut prouver qu’il a été acheté avec des devises importées (en attendant cette autorisation, l’argent est sur un compte d’attente en dinars). Il est conseillé, lorsqu’on importe des euros en Tunisie pour effectuer un achat immobilier, de faire une fiche d’investissement et de demander à la Banque centrale une garantie de transfert. Etant donné la pénurie de devises en Tunisie, les sorties de devises dont la valeur excède 500 000 TND exigent de plus le feu vert du gouverneur de la Banque centrale, qui prend environ 1 an et demi.
Noter qu’un héritier non-tunisien, résidant hors de Tunisie, peut obtenir de la Banque centrale l’autorisation de transférer à l’étranger le produit de la vente de son héritage en Tunisie, mais qu’en pratique jamais un Tunisien, même s’il est également français et quel que soit son lieu de résidence, ne l’obtiendra. C’est la politique de la Banque centrale.

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Autres biens : lois applicables suivant la/les nationalité(s) du défunt, son dernier domicile ou sa dernière résidence habituelle

Droit tunisien

Les successions pour tous les biens mobiliers (meubles, argent, portefeuille de valeurs mobilières, etc.), quel que soit le pays où ils se trouvent, sont régies par la loi du pays de la nationalité du défunt au moment du décès. Si le défunt possédait la nationalité tunisienne, le CSP – Code du statut personnel s’applique donc pour tous ses biens mobiliers, y compris pour ceux qui sont situés hors de Tunisie.

Si le défunt possédait plusieurs nationalités (y compris ou non la nationalité tunisienne) c’est la loi du pays du “dernier domicile” qui régit la succession des biens mobiliers. Le “dernier domicile” ne signifie pas le lieu du décès mais le lieu de la dernière résidence du défunt au sens du séjour, plus de trois mois, à l’appréciation du juge.

Ainsi une personne possédant les deux nationalités tunisienne et française, et dont le dernier domicile est en Tunisie, verra en principe sa succession régie, au regard du droit tunisien, par le CSP tunisien, pour tous ses biens mobiliers même situés en France. Le choix de la loi applicable en vertu du règlement européen du 17 août 2015 n’est pas reconnu par la Tunisie.

Droit français et européen

Le lieu d’ouverture de la succession est, depuis le 17 aout 2015, celui de la dernière résidence habituelle du défunt, comme ci-dessus.
Si la dernière résidence habituelle est en France, c’est la loi française qui s’applique pour tous les biens mobiliers quel que soit le pays où ils se trouvent. Si la dernière résidence habituelle se trouve en Tunisie, c’est la loi tunisienne qui s’applique.

Si un(e) héritier(e) français(e) s’estime lésé(e) par la répartition de l’héritage suivant la loi tunisienne, il/elle peut contester la répartition devant les tribunaux français. Le système du droit de prélèvement permet au Français auquel la loi successorale étrangère compétente attribue des droits inférieurs à ceux qui résulteraient pour lui de l’application de la loi française, de prélever sur les biens situés en France une portion égale à la différence de ces droits. Pour être inattaquable, ce prélèvement doit s’effectuer au travers d’un notaire français, et sur un ou des biens immobiliers situés en France.

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Héritiers légaux et quotes-parts, aménagements par testament

CSP – Code du statut personnel tunisien

Le droit des successions est régi par les articles 85 et suivants du CSP. Ce code a fait l’objet depuis 1958, de nombreuses réformes. Le code, dans le cas d’une famille classique, répartit ainsi la dévolution de l’actif successoral :

  • 1/6 au(x) parent(s) survivant(s).
  • 1/8 à l’épouse (l/4 en l’absence d’enfants), 1/4 à l’époux (1/2 en l’absence d’enfants)
  • le reste étant réparti entre les garçons (2 parts) et les filles (1 part).

Les enfants nés hors mariage sont héritiers de leurs parents. La jurisprudence en Tunisie à ce sujet (Cour de Cassation) a évolué. Il faut seulement que le lien de filiation soit établi (par exemple par analyse ADN). Il est tout de même conseillé de se marier si l’on souhaite que ses enfants puissent hériter sans problème, par exemple de leurs grands-parents tunisiens. Notons que l’abrogation de la circulaire de 1973 n’est pas prise en compte dans certaines régions, où l’on refuse toujours de célébrer le mariage d’une Tunisienne avec un étranger non-musulman, mais qu’une action en justice pour contester ce refus obtiendra gain de cause (jurisprudence depuis 2011).

Depuis 2011 la disparité des cultes n’est plus un empêchement à la successibilité. En cas de conflit porté devant les tribunaux, il ne peut plus être contesté à la veuve non-musulmane, quelle que soit sa nationalité, la part de 1/8 ou de 1/4 de l’actif successoral du défunt.

Les textes prévoient par ailleurs la possibilité pour une personne de disposer librement d’une “quotité disponible”, au maximum 1/3 de ses biens, partie qu’elle n’a le droit de léguer qu’à d’autres personnes que les héritiers légaux. Le testament doit avoir été effectué sous forme d’acte authentique chez un notaire, ou sous seing privé. Il est valable aussi bien en Tunisie qu’en Europe.
Cette quotité disponible peut même excéder le 1/3 des biens, ou être léguée à des héritiers légaux, mais alors le testament ne sera valable que s’il est ratifié devant le Tribunal d’instance par tous les héritiers après le décès de la personne concernée.

Une personne peut donc actuellement rééquilibrer son héritage entres ses filles et ses garçons, ou un époux augmenter la part qui échoira à son épouse, par la disposition de la quotité disponible, mais le testament ne sera valable que s’il est accepté après le décès par l’ensemble des héritiers.

En ce qui concerne les parts échues aux enfants, divers partis politiques et associations ainsi que la COLIBE – Commission des libertés individuelles et de l’égalité, proposent de modifier la loi en supprimant l’accord des héritiers. Deux types de modifications sont proposés : l’un suivant lequel, en l’absence de testament, la répartition resterait inégalitaire entre les filles et les garçons mais que la personne concernée pourrait tester pour donner l’égalité ; l’autre suivant lequel en l’absence de testament, les filles et les garçons hériteraient de la même part mais que la personne concernée pourrait tester pour donner à ses garçons des parts doubles de celles de ses filles. Aucune de ces propositions n’a pour l’instant été présentée devant l’ARP – Assemblée des Représentants du Peuple.

En droit tunisien comme en droit français, la réserve héréditaire interdit de déshériter un de ses enfants (contrairement au droit anglais ou américain).

Domaine extérieur à celui régi par le code de statut personnel tunisien
Les retraites et les pensions de réversion ne peuvent être versées qu’à l’épouse ou à l’époux, elles échappent aux limitations du droit successoral. De même les époux peuvent prévoir une assurance-vie souscrite par l’un au profit de l’autre.

Code civil français

Les héritiers désignés par la loi sont, dans une famille classique, le conjoint et les enfants.
Le conjoint hérite du 1/4 de l’actif successoral en pleine propriété, les enfants des 3/4 répartis en parts égales entre eux.

Les enfants nés hors mariage (par exemple si les parents ont signé seulement un PACS) sont héritiers de leurs parents, à condition que le lien de filiation soit établi

La “quotité disponible” existe aussi en droit français. Elle porte sur le 1/4, 1/3 ou l/2 des biens du défunt en fonction du nombre d’enfants. Les bénéficiaires y sont librement choisis, y compris les héritiers désignés par la loi (contrairement au droit tunisien).
La personne concernée peut avoir réparti la quotité disponible par testament, dressé sous forme d’acte authentique chez un notaire ou sous seing privé, selon la forme locale s’il est rédigé hors de France. En l’absence de testament, la loi générale s’applique. Le testament est valable aussi bien en Europe qu’en Tunisie, mais s’il n’est pas conforme à la loi tunisienne il peut être attaqué en Tunisie par un héritier qui s’estimerait lésé.

“Donation de l’usufruit au dernier vivant”: il est classique de léguer à son époux la totalité de l’usufruit de ses biens, en utilisant la “quotité disponible” pour ce qui excède la valeur de la quote-part de l’époux survivant. Lorsque la maison d’habitation appartient en communauté aux deux époux, chacun lègue à l’autre l’usufruit portant sur sa part propre, de manière que lorsque l’autre décède, il ne craint pas que sa résidence soit vendue par décision de ceux qui par héritage, sont devenus ses copropriétaires.

En droit français comme en droit tunisien, la réserve héréditaire interdit de déshériter un de ses enfants (contrairement au droit anglais ou américain).

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Donations

En Tunisie un étranger qui fait une donation immobilière, ou qui en bénéficie, doit obtenir du gouvernorat l’autorisation du gouverneur, ce qui est assez long (2 ans au moins) et compliqué (nombreux documents à fournir). (Lors d’un décès au contraire, l’héritier d’un bien immobilier, même s’il ne possède pas la nationalité tunisienne, n’aura pas besoin d’obtenir cette autorisation, voir le § Biens immobiliers et propriétés agricoles : loi applicable.)

Une donation partageant les biens d’une personne de son vivant se fait, d’après le code civil français et d’après le CSP tunisien, à l’entière volonté du donataire, sans aucune restriction. Le donateur peut notamment donner autant à ses filles qu’à ses garçons, ou favoriser l’un de ses héritiers présomptifs.

Cependant les deux législations, CSP tunisien et Code civil français, stipulent que si, lors du règlement de la succession, il s’avère que le défunt a privé l’un de ses héritiers de tout ou partie de sa réserve héréditaire, cet héritier peut faire une procédure “en rapport” c’est-à-dire qu’il peut demander qu’une partie des biens donnés soit réintégrée dans l’actif successoral pour permettre à cet héritier de bénéficier de l’intégralité de la réserve successorale.

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Rapatriement des biens

Si certains héritiers résident en Tunisie et si un bien de la succession est vendu en France, ils doivent rapatrier en Tunisie leur part du produit de la vente. S’ils sont tunisiens, ils doivent déclarer et rapatrier en Tunisie le produit de la vente, et ce dans un délai de 6 mois.

S’il s’agit d’un bien immobilier, ils n’ont pas l’obligation de le vendre et peuvent en conserver la propriété en France. Si le bien est loué, ils doivent rapatrier les loyers en Tunisie. Ils peuvent ouvrir pour cela un compte PPR (personnes physiques résidentes) en devises ou en dinars convertibles, avec lequel ils pourront régler des dépenses en devises (voir notre article Droit tunisien : avoirs à l’étranger, comptes bancaires, transferts, fiscalité).

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Droits de succession et frais de notaire

En Tunisie
Donation

En Tunisie une donation coûte en frais de notaire 1% au maximum de la valeur des biens, et 200 TND de droits fixes d’enregistrement si la donation est faite au profit d’un ascendant, d’un descendant ou d’un conjoint.

Héritage

Le produit d’un héritage doit figurer sur la déclaration d’impôts annuelle, il s’additionne aux revenus, mais on peut étaler le paiement de l’impôt correspondant sur 7 ans. Si la somme totale annuelle est supérieure à 50 000 TND, elle atteint la tranche d’imposition supérieure taxée à 35%, mais divers dégrèvements peuvent permettre de ne pas dépasser la tranche taxée à 28%.

La résidence principale ne subit pas de droit d’enregistrement si sa surface ne dépasse pas 1000 m2. Si la valeur de l’actif successoral en entier est inférieure à 15 000 TND, il n’y a pas de droits de mutation à payer.

Etant donné la convention franco-tunisienne de non double-imposition, un résident fiscal en Tunisie a intérêt à déclarer en Tunisie l’impôt déjà payé en France pour une succession gérée en France, afin de ne pas avoir à payer à nouveau un impôt en Tunisie sur cette succession.

En France

Les droits sont calculés suivant le lien de l’héritier ou du bénéficiaire de la donation, avec le défunt ou le donateur. Nous vous renvoyons sur le site du ministère de l’économie et des finances, qui donne des informations claires et précises sur ces barèmes et calculs.

Donation
Héritage

Il faut donc bien distinguer entre le partage de la succession, qui se fait selon la loi française ou la loi tunisienne suivant les règles exposées ci-dessus, et la taxation fiscale des parts de celle-ci, qui se fait en France ou en Tunisie selon la résidence fiscale de l’héritier.

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Marie BOUAZZI

Liens

Ministère tunisien de la justice
Consulat de France à Tunis
Ministère français de l’économie et des finances

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