Conférences informatives, novembre 2014 et février 2015

Grâce à nos intervenants, Maître Abdelfattah BENAHJI, avocat spécialiste en droit français et en droit tunisien, Maître Ridha BELMAHRESSIA, avocat à la Cour de Cassation de Sousse, Martine VAUTRIN DJEDIDI, conseillère consulaire Tunisie-Libye et conseillère pour l’Afrique du Nord à l’Assemblée des Français de l’Etranger, Marie BOUAZZI, présidente de Fdm-adfe-Tunisie, et aux expériences des participants, un grand nombre de questions ont trouvé réponse. Ci-dessous l’ensemble des informations, dans un exposé que nous espérons suffisamment exhaustif, concis et clair.

Le code de la nationalité tunisienne, promulgué en 1956, a été modifié à plusieurs reprises notamment en 1963, 1993, 2002, et pour la dernière fois en 2010. La loi n’a pas changé depuis 2010, mais en 2012 un changement radical des pratiques s’est opéré : difficile à acquérir jusqu’à cette date sauf pour les femmes épouses de Tunisiens, la nationalité tunisienne est largement accordée depuis 2012 aux personnes de toute sorte qui demandent la naturalisation. Voir plus bas le § LE TOURNANT LIBÉRAL DE 2012.

POSSÉDER, ACQUERIR, LA NATIONALITÉ TUNISIENNE

Possession de la nationalité par naissance

Filiation

Est tunisien l’enfant né d’un père tunisien ou d’une mère tunisienne.

Droit du sol

Est tunisien l’enfant

  • Né en Tunisie d’un père et d’un grand-père eux-mêmes nés en Tunisie (« Triple droit du sol » par ascendance masculine ; la présence de femmes nées en Tunisie, mère ou grand-mère, dans l’ascendance de l’enfant, ne suffit pas à conférer la nationalité à l’enfant né en Tunisie).
  • Né en Tunisie de parents inconnus ou apatrides résidant en Tunisie. Il perd cette nationalité si on découvre ensuite sa filiation avec un étranger dont il acquerrait la nationalité.
  • L’enfant tunisien par droit du sol peut répudier cette nationalité à la date de sa majorité.

Acquisition "par le bienfait de la loi" (par "déclaration")

La femme étrangère qui épouse un Tunisien acquiert la nationalité tunisienne
> automatiquement

si elle perd sa nationalité d’origine.

> par déclaration

si elle conserve sa nationalité d’origine, à condition que :

  • Elle soit résidente en Tunisie avec son époux depuis plus de 2 ans,
  • Elle réside régulièrement en Tunisie (carte de séjour),
  • Le mariage ait été célébré régulièrement en Tunisie ou à l’étranger.

La déclaration est une demande écrite sur papier timbré adressée au ministère de la Justice. (S’adresser au ministère de la Justice pour obtenir la liste des documents à fournir).

  • Après enquête, la déclaration sera enregistrée si elle est recevable.
  • En cas de refus, des recours sont possibles.
  • Si les recours consolident le refus, la déclaration n’est pas recevable mais elle peut être réitérée ultérieurement.

Acquisition par naturalisation (par décret)

Tout étranger résidant en Tunisie depuis plus de 5 ans

peut demander et obtenir sa naturalisation à condition de :

  • Etre majeur
  • Maîtriser un minimum la langue arabe. Mais pas de critères précisant ce qu’est ce minimum, laissé à l’appréciation de l’administration. Condition supprimée pour les conjoints de Tunisiennes
  • Etre sain d’esprit
  • Ne pas constituer une charge ou un danger pour la collectivité nationale, c’est-à-dire : bonne vie et mœurs, ne pas avoir été condamné pour des faits graves. Cette condition peut être levée si la condamnation a eu lieu à l’étranger.
Exceptions à l’exigence de résidence
  • Etranger ayant rendu des services exceptionnels à la Tunisie : la demande peut être faite dans son pays de résidence.
  • Réintégration dans la nationalité tunisienne d’origine perdue : la demande peut être faite dans son pays de résidence.
  • Homme étranger époux d’une Tunisienne : pas de condition de durée de résidence. Il peut acquérir la nationalité par naturalisation à condition que :
    — Il réside régulièrement en Tunisie (carte de séjour)
    — Le mariage ait été célébré régulièrement en Tunisie ou à l’étranger.
Exceptions à la possibilité d’acquisition de la nationalité
  • Personne sous le coup d’une mesure d’expulsion
  • Personne assignée à résidence
Délais d’obtention et refus
  • Les textes ne fixent pas de délai de réponse
  • Les refus n’ont pas à être motivés
Restrictions pendant les 5 ans qui suivent la naturalisation

Pendant ces 5 ans, le naturalisé n’est pas éligible à certaines fonctions administratives ou politiques :

  • Ne peut pas être fonctionnaire.
  • N’est ni éligible ni électeur lors des élections législatives, présidentielles, municipales
  • Ne peut pas exercer de fonctions dans les corps de l’Etat (police, justice …)

N.B. Les épouses de Tunisiens qui ont obtenu la nationalité par déclaration, ne sont soumises à aucune restriction.

Naturalisation ou "bienfait de la loi" : une différence fondamentale

L’acquisition “par le bienfait de la loi” est un droit ; la “déclaration” exprime seulement la volonté de l’épouse d’utiliser son droit.

L’acquisition par naturalisation n’est pas un droit mais une faveur accordée par décret présidentiel, sur avis du ministère de la Justice.

PERTE DE LA NATIONALITÉ

Le Tunisien peut perdre sa nationalité
  • S’il en acquiert volontairement une autre.
  • S’il occupe un emploi dans l’armée ou dans un service public d’un Etat étranger et n’a pas obtempéré à une injonction du pouvoir exécutif tunisien d’avoir à résilier sa fonction.
De plus, le Tunisien par acquisition peut être déchu de la nationalité tunisienne

Si, dans les 10 ans suivant l’acquisition (naturalisation ou déclaration)

  • il est condamné pour crime contre la sûreté de l’Etat ou s’il se livre à des actes préjudiciables aux intérêts de la Tunisie
  • il est insoumis au service national militaire
  • il est condamné pour crime à une peine de prison ferme d’au moins 5 ans en Tunisie ou à l’étranger.
Retrait de la nationalité

Lorsque la personne ne remplissait pas les conditions, ou avait présenté des faux.

Effet collectif de la perte/déchéance/retrait de nationalité

Ils entrainent la perte par l’épouse si elle l’a acquise en tant que conjointe par déclaration, et par les enfants mineurs si leurs deux parents l’ont perdue.

Enregistrement par décret présidentiel

Perte, déchéance, retrait ne sont pas automatiques. Ils sont prononcés par décret présidentiel, sur avis du ministère de la justice.

PREUVE DE NATIONALITÉ

Certificat de nationalité tunisienne

Il est délivré par le ministère de la justice au vu des documents correspondant à chaque cas (décret paru au Journal Officiel de la République Tunisienne si acquise par naturalisation, actes de naissance si possédée par triple droit du sol, etc.)

En cas de refus de la preuve

Présenter un recours devant le tribunal civil de 1ère instance de son domicile.

LE TOURNANT LIBÉRAL DE 2012

Jusqu’en 2011, la naturalisation était très rarement attribuée. Les décrets de naturalisation publiés au JORT, en remontant à 2009, donnent au total par année :

  • 2009 : 2 personnes
  • 2010 et 2011 : zéro
  • 2012 : 215 personnes, dont les nationalités d’origine sont diverses : Maghrébins (dont Algériens), Français, Belge, Italiens, Maltais, Allemands, Polonais, Bulgare, Serbe, Ukrainien, Russe, Burundais, Ruandais, Canadien (époux de Tunisienne), Syrien, Yéménite, …
  • 2013 : 50 personnes (nationalités d’origine diverses)
  • 2014 : 85 personnes (nationalités d’origine diverses)

(Les épouses de Tunisiens, obtenant la nationalité par déclaration, ne sont pas comprises.)

DÉLAIS ET RECOURS EN CAS D’ABSENCE DE RÉPONSE

  • Lors d’une demande de nationalité, pas de délai de réponse fixé par la loi tunisienne.
  • En pratique, la nationalité sera obtenue dans un délai de 4 mois à 2 ans (déclaration ou naturalisation).
  • Recours en cas d’absence de réponse : les textes ne mentionnent rien.
  • Lorsque les choses traînent, refaire une demande ou saisir les juridictions. Dans ce dernier cas, la représentation par un avocat est obligatoire.
  • En cas de demande de naturalisation faite avant 2012 et restée sans réponse, il est recommandé de refaire une demande.

LA CIRCULAIRE DE 1973 INTERDISANT À UN HOMME NON-MUSULMAN D’ÉPOUSER UNE FEMME TUNISIENNE MUSULMANE

Mis à jour mai 2018

Cette circulaire était depuis 1973 à la fois illégale et anticonstitutionnelle, pour la constitution de 1959 et pour celle du 27 janvier 2014. Rien d’ailleurs dans l’état-civil des personnes en Tunisie ne permet de leur attribuer une religion. La présomption se faisait sur la consonance des noms, alors même que la liberté de conscience est reconnue à la fois par la constitution de 1959 et par celle de 2014. De ce fait, dès 1973, la circulaire n’avait pas été uniformément appliquée dans les municipalités tunisiennes ni dans les consulats tunisiens à l’étranger. Elle l’avait pourtant été de plus en plus au cours des années et avait fini par l’être partout, empêchant la célébration de mariages ou la transcription sur l’état civil tunisien de mariages célébrés à l’étranger. Contestée au cours de nombreux procès, avec des jurisprudences contradictoires mais tendant finalement au cours de l’ère Ben Ali vers la reconnaissance de son caractère anticonstitutionnel, elle a enfin été abrogée le 14 septembre 2017.